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Daily Archives: août 2nd, 2008

Les anges existent, j’en ai la preuve. Ils ne sont pas blonds et ils sont sexués. Le mien est brun comme le henné, ses yeux sont clairs comme la lumière et son sexe est une fleur qui éclot dès que je caresse sa peau. Et je l’aime autant qu’il me protège.


Je l’ai rencontré dans le train, un voyage que je ne voulais pas faire. Je lisais pour ne pas mourir d’ennui, je regardais à travers la vitre sale du wagon mais n’y voyais rien, il faisait nuit. Les autres passagers dormaient, je me sentais seul éveillé. Et puis sa silhouette ronde et gracieuse m’a frôlé, je l’ai longtemps regardé marcher dans l’allée avant d’oser lui parler. Lorsqu’il s’est tourné vers moi, son regard m’a embrassé comme les rayons du soleil embrassent le monde à son lever, je me suis senti si léger et si fort, si beau dans sa lumière. Il a posé sa main sur mon front et je me suis endormi. Lorsque j’ai ouvert les yeux, le train était à quai, dans une gare dont j’ignorais le nom. J’ai vu mon ange descendre du wagon alors je l’ai suivi, et il m’a emmené chez lui.

Chez lui, c’est un peu le paradis.


Je me souviens que les premiers jours, j’ai beaucoup dormi. Comme si je n’avais pas dormi depuis des siècles. Mon sommeil était profond, confortable, parsemé de rêves plus beaux les uns que les autres et tous les jours, à mon réveil, il était là. L’ange au sourire incroyable. On aurait dit qu’il venait de l’intérieur, son sourire, il souriait avec son ventre et j’imaginais les milliers d’étoiles qu’il abritait, il souriait avec son coeur dont la douceur m’innondait, il souriait et le monde devenait beau, si beau…

Comme d’un convalescent, il s’occupait de moi. Du café au lait le matin à l’histoire du soir, chaque jour il me donnait un bain, me lavait les cheveux veillant à ce que la mousse du shampooing n’atteigne pas mes yeux.

Lorsqu’il me sentait fragile, il m’aimait. Je sentais sa peau, ses lèvres, ses mains partout sur mon corps et alors j’oubliais tout, d’où je venais, où j’allais, où je devrais un jour retourner, je ne savais qu’être là, tout entier offert à la vie, au plaisir, à l’amour. Chacun de ses baisers me disait je t’aime, chacun de ses gestes ajoutait je suis à toi et dans son regard je lisais prends moi, aimes moi et je devenais fou. Fou d’amour, ivre de joie, absolument vivant, exactement à ma place, enfin, dans ce monde dont je commençais à croire qu’il était mien. Ainsi, chaque soir je m’endormais, repu et heureux, sur ma joue la chaleur de son ventre, au creux de ma main la douceur de son sein. Et pour me bercer et me guider vers les songes, sa voix.

Sa voix… Comme les flots d’une mer infinie, elle me ramenait sur ses rivages où la vie n’était qu’un souffle léger qui me caressait. Sa voix disait sa tendresse et sa douceur, mais elle portait aussi la peine et la douleur, toute la souffrance des hommes. Un peu comme ces galets que longtemps la rivière a roulés, et dont les formes sont si lisses et belles, et le toucher si doux. Il me parlait et j’entendais l’histoire du monde. Et quand il ne me parlait pas, il me faisait entendre la musique des anges. Splendide et profonde, subtile et évidente, elle était la foi, elle était l’amour, elle était son cadeau à moi. Et je la recevais comme tel.

Comment dire combien douces furent mes heures auprès de mon ange ? J’aurais voulu demeurer entre ses bras à jamais, vivre avec lui un million d’éternité, oublier mon nom, mon âge, ma vie.

Mais ma vie, elle, ne m’avait pas oublié. A croire que des songes on est condamné à se réveiller.

Et je suis parti, laissant là mon ange après l’avoir embrassé merci.


A distance, il a continué de m’aimer. Je sentais la chaleur de son souffle sur mon sommeil, j’entendais sa voix me bercer, je lisais ses mots tendres. Je me nourrissais de son amour pour me rendre plus fort et affronter le monde. Il me donnait tant, mon ange, il me donnait tout. Sa force, sa tendresse, son courage et sa douceur, sa sagesse et sa candeur, moi qui me sentait vieux et vide. Mes nuits étaient moins blanches, mes jours moins douloureux. Mes pensées toutes de lui habitées s’envolaient pour devenir des nuages, par lesquels j’espérais le caresser. J’espérais, j’aurais voulu tant lui offrir, jusqu’à ma vie si j’avais pu. Si j’avais pu. Mais je ne pouvais rien, je n’ai jamais rien pu. Et les flammes de l’Enfer qui déjà vivaient en moi lui ont brûlé les ailes. Son regard clair, sa voix de mer me disaient sa souffrance, et sans cesse je le suppliait laisse moi, mon ange, va, va, sauve toi, surtout sauve toi… Et toujours il me répondait nulle part où tu n’es pas je ne veux aller, parce que c’est Toi, parce que c’est Toi… Comment pouvait-il m’aimer ainsi ? Comment pouvait-il rester dans mon ombre, guettant chacun de mes déséquilibres pour me rattraper, chacune de mes larmes pour les sécher ? Pourquoi la vie m’avait-elle offert un ange moi qui brise tout, même l’amour ? Et toujours il me répétait parce que c’est Toi… Parce que c’est Toi…


Tout ce que je sais, je l’ai lu sur le grain de sa peau. Tout ce que je veux je l’ai vu dans ses yeux. Tout ce que j’aime est tout ce qu’il est.


Les anges existent, aujourd’hui je le sais. Ils ne sont pas blonds et ils sont sexués. Le mien est brun comme le henné, ses yeux sont clairs comme la lumière et son sexe est une fleur qui éclot dès que je caresse sa peau. Ses seins sont de petites collines que mes doigts aiment à gravir, son ventre est une plaine sur laquelle j’aime m’endormir. Et son nom n’est autre que celui de l’Amour.







Elancée comme un peuplier, ne fléchis pas au vent violent. Dans mon jardin, toutes portes ouvertes, mes pieds mouillés de rosée, je te regarde en me disant : « Ma bien aimée, restes toujours à mes côtés car la vie sans toi est impossible. »

Poème arménien

 

(écrit sur songs from a world apart, Lévon Minassian & Armand Amar, label Long Distance, distribué par Harmonia Mundi)

 

 

         Un café, s’il vous plait.

Le serveur, pas très bien réveillé, trébuche sur le pied de ma chaise, marmonne quelque juron, et s’en va me chercher mon café. Il manque de le renverser lorsqu’il le pose sur la table, s’excuse, ce n’est pas grave lui dis-je, pour le rassurer. J’avale mon expresso en trois gorgées, le règle et me lève, j’ai envie de marcher.

 

Le port est calme, si calme à cette heure matinale. Les mats des bateaux fredonnent une douce sérénade et les mouettes chantent pour les accompagner. Je regrette un peu de ne pas en voir profité plus tôt, mais c’est toujours comme ça, les meilleures découvertes se font le dernier jour comme pour rendre le départ plus difficile encore.

Je fais quelques pas sur les quais, croise un bureau de tabac, achète un paquet de Camel. Un peu plus loin, sur un banc de bois, je m’assois pour fumer. Face aux bateaux. Dans un peu moins de trois heures maintenant, je serai partie, mes vacances seront finies. Je quitterai cette chambre d’hôtel réservée pour deux mais occupée par moi seule, et prendrai un taxi pour la gare. Je t’aurais attendu six jours, tu ne seras jamais venu.

 

Je quitte le banc pour le ponton d’en face, un immense voilier vient d’attirer mon attention, j’ai envie de le voir de près. Il est sublime, tout de bois construit, bois ciré qui plus est, parfaitement entretenu. Il ne semble n’y avoir personne, je lance un bonjour timide… Le silence me répond. J’enlève mes chaussures à talons et grimpe. Je vais m’asseoir à l’avant du bateau, les pieds dans le vide comme pour frôler l’eau.

Tu m’avais dit d’accord. Tu m’avais dit avoir envie de me voir, de me serrer dans tes bras, de dormir près de moi, de me faire l’amour, enfin. Tu voulais goûter le sel sur ma peau, la voir s’offrir au soleil et regarder les navires prendre la mer en me tenant la main. Tu m’avais dit je t’aime comme un fou, je pense tellement à toi, tout le temps, tu m’obsèdes, je t’aime, je ne veux plus vivre sans toi, plus jamais, plus jamais… Et moi, bien sûr, je t’avai cru. Oubliant en un éclair tous les mots précédents, ces mots cruels, violents, et tout le mal qu’ils m’avaient fait, que tu m’avais fait.

Alors j’avais réservé cette chambre pour deux, avec vue sur la mer, et un billet de train. Tu devais arriver après moi, le lendemain, tu m’informerais de l’heure par téléphone. J’ai attendu ton appel, et ta venue. Six jours. Et même maintenant, je crois que je l’attends, que je l’espère encore.

 

Des pas sur le ponton. Je me retourne, un homme approche. J’ignore si le voilier que je squatte lui appartient, ou bien un autre, mais dans le doute je me lève et descend à quai. Le soleil est bien levé maintenant, sa lumière m’aveugle, je sors mes lunettes de mon sac et me cache derrière. J’ai envie de voir la mer.

Je me souviens de tous ces mots que tu m’écrivais, ces mots d’amour si forts, qui paraissaient si vrais, ces déclarations plus belles que toute autre, ces promesses d’éternité, d’absolu, de toujours à jamais, comme j’ai aimé les entendre, comme j’ai aimé les croire. Comme je t’ai aimé… Comme je t’aime.

La lumière du matin habille l’eau de mille reflets d’or, mon regard en ricochets s’évade jusqu’à l’horizon. Je me demande où tu es, ce que tu fais. Es-tu réveillé ? Ou encore endormi, étendu près d’elle… ?

Ils me l’avaient dit, et je le savais : aimer un homme marié est du suicide. Une lente et douce agonie. Des mois à alterner espérance et désespérance, rires et larmes, tendresse et cruauté. Cruauté… Aussi bien que tes mots d’amour, je me souviens de tes mots de mépris. Assise face à la mer ils me reviennent comme les vagues, leur écume est salée, elle me pique les yeux. Nous n’allons pas continuer… Je ne veux pas de toi… Non, je ne veux pas de toi… Je ne reviendrai pas vers toi… Tu n’es pas la seule dans ma vie, tu n’es qu’une maitresse de plus… Vous êtes nombreuses à me pleurer votre amour et j’en ai marre que l’on m’aime… Ne m’aime pas… Laisse moi, oublie moi… Je ne veux pas de toi… Je ne veux pas de toi… Je pensais la douleur cicatrisée, je me trompais. Ces souvenirs sont comme du citron sur mes plaies, je souffre, je saigne, et je me rends compte que je suis la seule à blâmer. Jamais je n’aurais dû accepter de m’oublier comme je l’ai fait. Mais que n’aurais-je fait pour te garder ? L’amour rend fou, l’amour rend bête. Et j’avais désespéremment besoin d’amour… Si désespéremment.

 

Il est près de onze heures quand je me lève. J’enlève le sable de ma robe, remet mes chaussures et me dirige vers l’hôtel.

Dans cette chambre si vide de toi, je range mes quelques affaires. Je décide de laisser là la bouteille de champagne que j’avais prévu, le livre et le CD que je t’avais achetés, les lettres que je t’avais écrites. Les miettes de toi. Un peu de colère m’envahit alors, et je réalise que tu n’es pas l’homme parfait que j’avais cru reconnaître. Que tu as pris sans rien donner. Toutes ces nuits où tu m’appelais, parce qu’il faisait froid, ou seul, ou triste, toutes tes larmes que j’ai séchées, tes peurs que j’ai calmées, tes maux que j’ai écoutés. J’aimais tant que tu te tournes vers moi, je me sentais importante, utile… Et je taisais ma souffrance, ces autres nuits où le besoin de toi se faisait violent, ces larmes pleurées sur l’oreiller, le silence auquel je devais me résoudre. Je devais, non, je voulais, être là pour toi, toujours, mais il ne me fallait rien attendre. Tu m’avais prévenue, je connaissais les règles, les tiennes, et je les ai acceptées. L’amour n’est que folie, me dis-je en fermant ma valise.

Je règle ma note et sors fumer une cigarette en attendant mon taxi.

 

Le chauffeur est souriant, serviable. Il s’occupe de mon bagage, et m’autorise même à fumer dans sa voiture. Par la fenêtre je regarde disparaître ce qui aurait dû être le paysage de nos vacances. Et je pleure. Je pleure parce que hier soir j’ai voulu me noyer, attacher une enclume à mon pied et me jeter à la mer, parce que je t’aime à en crever. Je pleure parce que j’ai cru jusqu’au dernier moment que tu viendrais, que nous passerions ensemble cette semaine aussi promise qu’attendue, que tu serais là pour moi, une fois, juste une fois. Je pleure parce que je comprends que le songe tenait du cauchemar, l’amour de la folie, l’attention de l’abnégation et que le sens n’a jamais été autre qu’unique. Je pleure aussi parce que je sais maintenant que tout est terminé.

Le chauffeur, décidément adorable, me demande si tout va bien, si je souhaite qu’il s’arrête, un moment, pour que je prenne l’air. J’accepte volontiers, d’autant que la route sur laquelle nous circulons longe la plage. Je lui demande de m’attendre un instant, j’ôte mes talons et cours à travers les dunes jusqu’à la mer. Là, je regarde l’horizon et je lui murmure personne ne t’aimera comme je t’aime, moi. Comme toi, elle ne me répond pas. Alors je crie, comme jamais je n’ai crié. Je crie mon amour déçu et ma tendresse perdue, mes élans rompus et mes souffrances tues, ton petit égoisme et ma trop grande générosité, ta faiblesse et ma force, ta distance, tes silences, mon absolu et mon entier. Tout ça en un cri, large et long, un cri pour tout laisser sur la plage où jamais, je le promets, je ne reviendrai.

 

Le taxi me dépose à la gare, je claque une bise sur la joue du chauffeur, pour le remercier. Il en rougi un peu.

Un charmant jeune homme m’aide à placer ma valise dans le compartiment prévu à cet effet, puis il s’assoit près de moi et nous discutons. Nous avons la même destination.

Plus tard, il me demandera si je suis mariée.

Je lui répondrai que je suis veuve.